Une ville très religieuse

Aller en province me donne souvent l’impression de revenir dans le passé, et de retrouver une France de mon enfance. Lorsque j’étais enfant, j’expliquais à mes parents que l’on ne pouvait croire ce que disait la religion, parce que ce n’était tout simplement pas croyable. Nous n’étions qu’à une trentaine d’années de l’an 2000, que l’on voyait comme un futur de science-fiction, et il fallait s’y préparer, et changer son esprit.

Aujourd’hui, lorsque je regarde l’Ile-de-France, et que je prends un peu de recul, je suis effaré. Dans ma ville, on peut avoir une adjointe voilée. Le maire explique que c’est parfaitement légal, on pourrait donc avoir un conseil municipal entièrement vêtu de costumes ecclésiastiques, qui déambulerait dans les rues habillé en curé, en moine, en bonne sœur ? Je n’ai jamais vécu dans un lieu où la religion soit aussi importante, où elle imprègne toutes les questions de politique locale. Nous avions une mosquée cathédrale, nous allons en construire une deuxième, les catholiques réagissent en décidant d’une ostentation de la tunique du Christ avec près de vingt ans d’avance. La ville s’enfonce dans l’ennui, perd de son dynamisme, et ces questions religieuses paraissent occuper tout l’espace.

Le voile s’est répandu en l’espace d’une quinzaine d’années, moyen pour une communauté de remettre la main sur ses femmes, dont la réussite scolaire très supérieure à celle de ses garçons, risquait de leur donner le goût de l’indépendance. Plus il y a de voiles dans une ville, et plus il faut le porter, plus la pression sociale augmente. Les filles doivent céder, parce que c’est une stratégie matrimoniale, elle doivent afficher leur vertu, sinon elles seront concurrencées par les filles du bled, que l’on ira chercher pour les remplacer. Dans “Soumission”, Houellebecq cite Argenteuil, et il est probable que notre bonne ville lui a donné des idées pour ce dernier roman.

Il s’agit peut-être d’une particularité liée à l’Ile-de-France, où personne n’est autochtone. Les catholiques eux-mêmes sont plus traditionalistes qu’en province, et ce sont des catholiques convaincus, catéchistes, qui m’ont fait part de leur étonnement. En région parisienne, comme à Versailles, le catholicisme est une sorte de signe de reconnaissance, d’entre-soi, presque une mentalité obsidionale de chrétiens d’orient.

Le petit garçon que j’ai été, s’étonnerait aujourd’hui de cette sorte de décrépitude là où il attendait un monde plus moderne.

Argenteuil, le salon de la numismatique

Comme chaque année, Argenteuil tient son salon de la numismatique. Je ne suis pas un connaisseur, mais je vois les regards passionnés et attentifs des participants, et je comprends leur intérêtl est émouvant, même pour le pur béotien que je suis, de pouvoir admirer des pièces aussi anciennes, qui ont circulé entre tant de mains de ces époques.

Le noeud gordien de la culture à Argenteuil

P1110947

Qui tranchera ce nœud, qui ferme l’un des lieux les plus mythiques du moyen-âge, celui où Héloïse et Abélard se rencontraient, et dont la responsabilité est passée de l’agglomération, aujourd’hui dissoute, à la mairie, mais avec des horaires d’ouverture non affichés, et erratiques ?

La vie séparée

Le journal “l’Argenteuillais” dresse un panégyrique du lycée Geoges Braque. La mairie espère remonter l’image de ce lycée, qui se situe, selon le classement de l’express, à la dernière place de l’académie. Il s’agit d’introduire des classes de préparation à Sciences-po, et d’autres initiatives destinées à attirer un autre public.

Les politiques locaux développent le thème du “vivre-ensemble”, qui parait comme une sorte d’humour savamment décalé, quand on regarde la situation réelle. Des vieux habitants de la ville me disent que la réputation du lycée n’a pas toujours été celle-ci, et qu’ils sont surpris de constater la longueur des files d’attente pour inscrire les enfants dès la maternelle à l’école privée catholique. Nous sommes tous des français laïcs, qui nous revendiquons de cette laïcité, portée comme un drapeau, mais qui nous battons pour mettre nos enfants à l’école catholique. En fait, l’essentiel de la société française “de souche” et laïque met ses enfants à l’école privée catholique.

Il semble que l’école publique locale, qui bénéficie pourtant de profs mieux classés aux concours que ceux du privé, ne recueille que ceux qui ne peuvent faire autrement. Mais ce sont les élèves, et milieu d’origine, qui font le niveau d’une école, plutôt que la qualité de ses enseignants. L’adresse est devenue plus importante que le niveau intellectuel.

Dans notre ville, la fracture est impressionnante, c’est comme si l’on avait deux populations qui ne se croisaient pas. Le vivre ensemble a disparu avec la suppression des fêtes, dont on a dit qu’elles étaient dispendieuses, qu’organisait la précédente municipalité. La suppression de ces manifestations populaires, où il y avait encore un peu de mixité, a entraîné aussi la fin de ce modeste “vivre-ensemble”. De plus en plus, chacune des populations a ses fêtes, ses écoles, et elles ne se croisent plus.